Interview avec l’artiste italienne : Romina De Novellis

Par notre envoyé spécial à Paris Marco Mazzanti

Le 16 novembre 2013, à Paris, l’ensemble des œuvres publiées par le Centre CulturelLa Camera Verde, fondé à Rome par l’éditeur Giovanni Andrea Semerano, ont été presentées àla Galerie LaureRoynette, 20 rue de Thorigny, près dela Bastilleet du Centre Pompidou. Ce sont les livres de la collection “Cartella d’Artista” qui étaient exposés et présentés, et notamment le livre Wool and Roses – trilogie de l’enfermement de l’artiste italienne Romina De Novellis.

Le critique Marc Lenot a dit à son sujet : «Le travail de Romina De Novellis tourne autour de l’enfermement du corps, des efforts incessants pour le libérer et de l’impossibilité inéluctable d’y parvenir. On peut y percevoir un discours féministe, mais c’est bien plus que le corps de la femme qui est en jeu ici, c’est l’universalité du corps souffrant. On peut y déchiffrer une dimension sociale et politique, une évocation de l’enfermement du travailleur dans la société moderne, mais c’est bien plus qu’une allégorie sociale contemporaine, c’est la tragédie éternelle de l’homme prisonnier de sa condition.»

Les nœuds rouges autour de son corps dans La Veglia, les labyrinthes en laine de La Pecora, les cages décorées de roses dans La Gabbia, les bains de Mamma mia, c’est le regard de l’artiste observant le monde. Extrêmement delicate mais douée d’une extraordinaire force, la sensibilité de Romina De Novellis porte le spectateur à réfléchir : les photos (de Mauro Bordin) et les images vidéo des performances nous montrent la puissance de l’artiste, capable de devenir une entité méthaphysique dans cette réalité qu’elle modèle elle-même avec le feu de ses idées.

Nous avons rencontré Romina De Novellis qui nous a parlé de son travail artistique.

Holocauste. Sacralité. Sacrifice. J’ai pensé à ces trois termes en réfléchissant à votre travail, c’est-à-dire à l’holocauste du corps qui se sacrifie dans sa nudité pour acquérir comme une auréole sacrée dans l’environnement instable qui caractérise notre époque. Quel est selon vous le rôle du corps humain dans l’art, ses secrets, son alphabet ?

Holocauste. Sacralité. Sacrifice. Ce sont trois mots – donc trois approches – auxquels je tiens beaucoup. Je réfléchis au rôle du corps dans mon travail. Le corps et l’œuvre, pour moi, sont une seule et même chose. Je ne me pose pas de questions en termes d’esthétique de la recherche et de ses dynamiques, je veux dire qu’il n’y a pas de sujet dans mon œuvre, parce que, vous voyez, le corps est déja le centre de mon travail. Le corps est au coeur de la question de la réclusion, c’est-à-dire de la réclusion sociale ; et le corps – mon corps – se met en rapport avec l’espace et le spectateur. Quant à l’alphabet, de ce point de vue très intéressant, nous avons un ensemble de signes – ou idéogrammes – qui sont à la base de la relation (donc des approches aussi : holocauste, sacralité et sacrifice) entre l’œuvre et le spectateur.  Quant au corps, c’est un moyen de communication : pendant mes performances, ce qui compte, ce n’est pas de montrer une mutilation (comme s’est arrivé dans l’histoire du “performing art”) ou de s’occuper du jeu d’un personnage (comme dans le théâtre et la danse-théâtre), mais plutôt d’analyser un rôle (c’est-à-dire un rôle social, naturellement) qui interroge le corps. Je ne me range pas du côté des féministes, je suis pour la communication et l’échange avec le spectateur.

Quel est selon vous le rôle de l’art dans une période de crise économique comme celle-ci ?

Dans une période très difficile comme celle-ci, l’art a une tâche très spécifique : se retrouver soi-même, et c’est son rôle depuis toujours. En Italie nous avons une sorte d’intolérance politique à l’égard de notre patrimoine culturel et artistique. Le rôle de l’art en Italie égare sa propre valeur, il n’y a pas de conscience de la valeur de l’art, nous sommes dans une situation caractérisée par l’ignorance, ce qui rend vains les efforts des artistes qui travaillent à l’élaboration de la culture. Donc, il n’y a pas de communication. Je pense que c’est important de clarifier le rôle de l’art à notre époque. En France la situation n’est pas si dramatique, ici nous avons des ressources pour faire valoir et soutenir l’art ; en Italie l’art n’est reconnu que dans les musées, mais d’un point de vue intellectuel il n’existe plus dans la societé. L’artiste, c’est un paria, alors qu’en France il est reconnu comme tel, c’est-à-dire comme une personne qui exerce une profession. Dans les pays où l’art est sous-estimé, c’est très important de faire comprendre au spectateur qu’il a un rôle à jouer afin de soutenir l’art. Les sociétés occidentales actuelles ne reconnaissent pas la valeur de l’art. Moi, je suis une artiste, j’ai pour but de défendre mon travail.

La femme dans l’art, sa gestuelle, ses couleurs, son esprit dynamique, par opposition à l’homme, avec sa puissance virile, ses ombres, sa fermeté. Bref, l’art a-t-il une sexualité ?

À mon avis, l’art a la sexualité de l’artiste et du spectateur, c’est-à-dire une sexualité hétérosexuelle, homosexuelle ou transsexuelle. À vrai dire, c’est une question qu’on devrait poser principalement au spectateur. Moi, je suis une femme hétérosexuelle ayant depuis toujours des liaisons avec les hommes et mon approche à l’égard de mon corps est exclusivement féminine. Je n’exclus pas cependant, selon le point de vue du spectateur (ou de la spectatrice, n’est-ce pas ?), une vision inverse de ce que j’ai convenu intimement dans mon art. Donc on peut imaginer, pourquoi pas, une contemplation masculine ou un hermaphrodisme de mon travail, à l’image d’une communication multiple.

Vous vivez depuis longtemps à Paris. Comment voyez-vous l’Italie depuisla France? Et quelles différences  y a-t-il entre ces deux pays?

En France j’ai été bien accueillie, j’ai trouvé une organisation bureaucratique qui reconnaît l’artiste officiellement à l’échelon social. J’ai quitté mon pays pour cette raison : en Italie j’étais un fantôme, je n’étais d’aucun profit à l’Etat. J’admire mes collègues italiens qui décident de rester en Italie pour lutter contre cette situation, afin que leurs droits de travailleurs soient reconnus par l’Etat. J’ajouterai toutefois une chose qui concerne mon point de vue d’artiste italienne : la Franceest un pays très rigoureux où l’art peut parfois stagner dans la bureaucratie. Par contre, il y a en Italie une agressivité majeure, mais attention, je dis ça dans le bon sens du terme, évidemment ! Eh bien, si on avait un mélange de ces deux situations, c’est-à-dire la vivacité italienne et la précision du système français, l’artiste serait une bombe atomique !

Le voyage dans l’art : c’est une muse – la métaphore du chemin, la vision onirique de l’artiste…

Quand je décris mon travail, je parle souvent de processions, même s’il n’y a pas de réelle procession, parce que je ne bouge pas dans l’espace. Tu as dejà vu mes performances, elles durent de nombreuses heures, parfois des journées entières : il y a des spectateurs qui après peu de temps s’en vont, d’autres qui restent par curiosité jusqu’a à la fin – donc un infini va-et-vient. Le voyage, selon moi, c’est un déplacement du temps dans le temps. C’est le temps qui prend possession de mon oeuvre et du spectateur aussi : le spectateur partage tout ça avec moi. Le voyage – ou la procession – c’est un échange profond, il s’agit d’un héritage de mes expériences professionelles dans le théâtre et dans la danse.

M.M.